samedi 14 janvier 2006

Le Monde - 23/08/04

La publicité citoyenne ? Chiche !

par Philippe Lentschener

Lemonde_230804_1LE GOUVERNEMENT a donc soldé le débat parlementaire concernant la publicité et l'alimentation des enfants par l'instauration d'un message sanitaire et d'une taxe de 1,5 % sur les dépenses publicitaires. En politique, c'est un succès, en sociologie politique une victoire à la Pyrrhus. On mène des guerres soit pour les gagner, soit pour faire la paix.

Cette loi n'est pas la conclusion d'un livre sur publicité et alimentation, ce n'en est que la préface.

Cette victoire laisse un champ de ruines. Des parlementaires unanimes de la commission mixte paritaire, donc de droite et de gauche, du Sénat et de l'Assemblée nationale, se sentent bafoués. Des thérapeutes se sentent coupés du gouvernement. Ils auront pétitionné au plus haut niveau sans être entendus. Ils pensent qu'en France publicitaires et industriels ne comprennent pas une épidémie qui va renverser notre rapport à la santé.

Le débat a été l'objet de tant d'autisme et d'arrogance aux Etats-Unis et en Angleterre que l'interdiction de la publicité est maintenant envisagée. Le problème de cette loi est donc simple, elle ne pousse pas à la vertu et ne nous impose pas de revisiter nos fondements. Elle est donc insuffisante.

Le scénario fantôme peut être écrit : les publicités vont rester les mêmes dans leur contenu, on paiera les 1,5 % et on se sentira protégé.

Les élus qui, sur le terrain, continueront de voir les dégâts, les thérapeutes qui les soigneront deviendront furieux. Ils penseront que cela ne peut plus durer, et là, ce sera autre chose. Le spectre des 7,5 %, voire de l'interdiction, sera là.

Nous, publicitaires, devons comprendre que si les groupes sociopolitiques gagnent en France, les groupes socioprofessionnels perdent et, toujours avec le même scénario, en croyant avoir gagné. Ces derniers jours, nous avons vu le spectacle des lobbies agricoles qui pensent faire reculer le législateur sur la loi Evin tandis que les thérapeutes sortent une étude sur l'alcool et les femmes enceintes, et que le ministre impose une notice sur les bouteilles de vin.

Notre enjeu maintenant est simple : quelles sont notre place et notre mission ? Sommes-nous les porte-voix de l'industrie alimentaire ou devons-nous être des médiateurs ? Ma fierté est de dire aux industriels que nous devons, ensemble avec les thérapeutes et les parlementaires, trouver une façon d'éduquer les gens et de mettre les messages sanitaires au cœur de notre publicité. Et de dire aux politiques qu'interdire la publicité est une ineptie grave. Nous devons aller au fond du débat.

Je ne peux que constater le silence assourdissant des industriels. Là comme ailleurs. Nous nous battions autour de la loi Evin quand Pernod Ricard créait Entreprise et prévention. Les publicitaires se sont battus seuls contre la loi Sapin. Pourquoi ? Le silence dans le débat sur les antipub ? Pourquoi ? Je nous crois parfois bien crédules et naïfs.

Ce sujet va tourner autour de nous pendant la prochaine décennie, et nous aurons les lois que nous aurons mérité. Au bout de l'autisme, l'interdiction. Au bout du travail en commun, citoyen, la pérennité. Ce combat est donc le seul intérêt des industriels, l'autre est à leur détriment.

La politique s'est emparée de nous en 1991. Depuis, nous cherchons sans cesse les sorties, mais la voie est sans issue autre que la publicité citoyenne. Ce doit être l'objectif de notre profession. C'est la seule façon pour la publicité de durer... en bonne santé.

Philippe Lentschener

président du groupe Saatchi & Saatchi France.

Sommes-nous les porte-voix de l'industrie alimentaire ou devons-nous être des médiateurs ?

Posté par le 14 janvier 2006

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