vendredi 27 octobre 2006

Libération - 11/10/06

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Les enquêtes d'opinion pervertissent un débat qui devrait rester interne au PS.

Pour des «primaires» sans sondage.

Philippe Lentschener président de Saatchi & Saatchi France.

Les sondages sont interdits dans la course finale d'une élection. Ils le sont pour des raisons très claires et simples. Ils brouillent l'attention et l'intention. Ils peuvent influencer les électeurs alors que l'heure est à la comparaison candidat-candidat, programme-programme.

Dans la compétition des socialistes, les sondages sont un cas formidable de phénoménologie politique et sociale: ils sont totalement à part. Ils sont effectués sur un corps social qui n'est pas celui qui votera, ils influencent de l'extérieur des gens qui eux-mêmes sont censés influencer l'extérieur. C'est un peu comme si l'on sondait tous les Européens, pendant des mois, pour savoir qui est le mieux placé pour diriger la France. Ces sondages sont l'enjeu d'un trophée qui nous dépasse, celui qui confirmera le triomphe de la démocratie d'opinion sur la démocratie de la raison et des projets.

Voici une proposition: les médias français s'enorgueilliraient de reconnaître le côté spécifique du débat socialiste; ils devraient renoncer à publier des sondages pendant la durée de ce débat, à moins qu'ils ne soient faits sur le corps qui votera.

Récemment, le Point a publié un sondage sur l'image des présidentiables du PS, réalisé alors que Laurent Fabius n'avait pas encore fait sa déclaration de candidature! Laurent Fabius est l'immense vainqueur de la rencontre socialiste de Lens, il domine de la tête et des épaules le débat, aucun sondage ne sera fait les jours qui suivent, aucune étude ne viendra sanctionner ce bouleversement qui s'est opéré ce jour dans la tête des militants.

Les instituts, les magazines, les grands quotidiens ont un intérêt objectif commun: Ségolène doit aller jusqu'au bout, autrement ils ne pourraient plus jamais exercer leur magistère rédactionnel.

Des gens tentés de voter Laurent Fabius se diront, pourquoi le faire: le vote utile, c'est une autre. Là est «l'horreur» démocratique. Sonder les seuls militants déboucherait sur des résultats très étonnants. Dans la fédération socialiste du Nord, entre 30 et 45 % des encartés PS se prononceraient pour Laurent Fabius. Que seraient alors le discours, les débats, les pronostics? Quelle force auraient les arguments des uns et des autres?

Aujourd'hui, au nom de l'opinion, tous les débats peuvent s'escamoter. Chaque concept poussé par Ségolène Royal est ambivalent, (Europe, Smig, 35 heures, carte scolaire,...) Les débats sont impossibles au nom de l'opinion demandeuse de sa candidature messianique. A l'UMP le débat est plus simple. En congrès, le vrai corps électoral s'est prononcé.

La démocratie française explore des pratiques nouvelles. Le PS est un espace privé, mais l'importance de son action le place de plain-pied dans l'espace public. Le législateur ne pourra pas statuer sur ce sujet pour cette fois, le calendrier est lancé alors que ces lignes s'écrivent. Seule l'autosaisine des organes de presse peut nous faire retrouver l'honneur en passe d'être perdu du débat politique.

Posté par le 27 octobre 2006

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